Arrêt sur le monument aux morts de Saint-Léger-les-Domart

 
 

En traversant le bourg de Saint-Léger-les-Domart, nul ne peut ignorer la silhouette altière du soldat de bronze du monument aux morts de la Grande Guerre. 

C’est non seulement l’un des plus beaux monuments aux morts du Val de Nièvre, mais aussi le plus original. Quelle commune peut s’enorgueillir de posséder en bronze représentant un poilu sur pieds, sans arme, les bras croisés, dans une posture aussi inaccoutumée ?

La présence de cette œuvre atypique de belle facture sur la place publique de Saint Léger, à proximité de l’Hôtel de ville et de l’église interpelle. Comment une commune dont la population n’excède pas les 2 000 habitants avant 1914 a-t-elle pu ériger un tel monument ?

Le monument aux morts de Saint-Léger-les-Domart a couté 18 700 francs à la commune. C’est une belle somme pour l’époque. Les monuments les moins onéreux coûtent environs 2 000 francs. 

Dans le dossier conservé aux Archives départementales de la Somme on y apprend par ailleurs que la commune s’est acquittée seule de cette somme, sans emprunt ni aide d’un généreux bienfaiteur.

 La commune a prévu le financement dès 1919. Cette année-là, le Conseil municipal vote un premier crédit de 2 000 francs, somme qui sera allouée au monument aux morts que la commune vient de décider d’élever à la mémoire de ses enfants. 

L’exécution du monument aux morts tarde à être réalisée. Au mois d’août 1921, le maire de la commune, Anatole Jovelet, adresse une note expresse au Préfet « prière à Mr le Préfet de hâter l’instruction du dossier ». Le ton est audacieux. Le maire est député, en passe de devenir Sénateur. La commission chargée d’instruire les dossiers de construction des monuments aux morts se réunit fin septembre et donne son accord. 

Le monument que les habitants de Saint-Léger découvrent ne manque pas de cachet. La statue du poilu en bronze porte deux signatures : Rudier, et Mengue. Alexis Rudier est fondeur à Paris. Il fond pour Rodin, Bourdelle, Maillol ou Dardé. Jean-Marie Mengue est moins connu, c’est un sculpteur originaire de Bagnère-de-Luchon. Il a réalisé pour sa propre commune un bronze représentant un soldat debout, les bras croisés, regardant vers le ciel. Qu’une deuxième épreuve de ce bronze se retrouve si loin au nord est certainement dû aux relations du député-maire !

La posture de ce soldat prête à interprétations. La position les bras croisés peut signifier la fermeté, un moment d’attente avant le combat, ou encore le recueillement. Mais ce soldat n’a pas d’arme. Est-il prêt à combattre ? N’a-t-il pas adopté une posture pacifiste ? 

Difficile de répondre par l’affirmative. Il porte un casque, une capote, une sacoche, et des cartouchières à la ceinture. 

Les monuments clairement pacifistes sont plutôt rares et généralement plus expressifs. 
L’explication de la posture du poilu de Domart est peut-être ailleurs. A Bagnère-de-Luchon, près du piédestal où s’élève le poilu aux bras croisés un autre bronze représente une femme le saluant dans un mouvement expressif. C’est ainsi que le sculpteur a représenté son fils Pierre, et la séparation douloureuse au moment du départ à la guerre.